Polis, Homo Ludens
Le renouvellement des formes d’engagement artistique dans l’espace public sur une triangulation art /sport/jeu.
Les artistes par leurs stratégies interventionnistes voire activistes, par leurs pratiques dites socialement engagées, souvent sous la forme de collectifs, travaillent à travers leurs projets à déplacer et à poser différemment les questions liées à l’urbanisme, au développement durable, à l’écologie ou à la ségrégation sociale des espaces. Ces pratiques artistiques dans la cité, nous poussent à repenser l’esthétique et le rapport au politique, ouvrant ainsi la voie à des spéculations qui imaginent à nouveau l’espace et l’environnement construit. Les pratiques artistiques déambulatoires, la marche dans une dimension performative constituent un outil d’appréhension, de réappropriation et d’analyse de l’espace urbain, tout comme le jeu dans la lignée des propositions des situationnistes.
Le jeu constitue un marqueur important de l’expérience des êtres vivants. Le jeu et le sport sont des sujets d’inspiration privilégiés par de nombreux artistes. Ils contribuent à la production de formes symboliques sans lesquelles les sociétés ne sauraient vivre. Le sport émerge avec l’art moderne au début des années 1860. Le jeu est un objet d’étude fécond illustré par des contributeurs célèbres comme Johan Huizinga ou Roger Caillois qui en a décomposé les principaux aspects (compétition, hasard, simulacre, vertige). Johan Huizinga dans son ouvrage Homo Ludens, soutient la thèse que la culture naît du jeu « la culture à l’origine est jouée ».
L’art moderne, dans ses procédés créatifs, a lui-même incorporé de nombreux aspects ludiques empruntant au hasard et au simulacre (assemblages, pliages, cadavres exquis, dripping, performances…).
L’art et le sport ont le pouvoir de transformer, de rassembler. Ils jouent un rôle actif au sein de la société. Ils interrogent notre rapport aux usages de l’espace public, à l’environnement. L’expérience esthétique, comme le jeu et le sport, permet un pas de côté par rapport au réel et de s’en affranchir pour mieux se le réapproprier.
Des formes d’activisme artistique en matière historique
La contribution des artistes à l’écriture et à la réécriture de l’Histoire avec un focus sur l’espace méditerranéen élargi à l’atlantique.
« Ecrire l’histoire et écrire des histoires relèvent du même régime de vérité » nous dit Jacques Rancière.
De nombreux artistes aujourd’hui se nourrissent et s’appuient sur des sources iconographiques diverses (images vernaculaires, documents de presse, cartes postales, affiches, reproduction d’images d’actualités politiques et sociales dans des ouvrages). On assiste à la résurgence très forte dans les pratiques artistiques actuelles d’un goût pour l’Histoire traduisant un engagement social et politique fort des artistes ; ces pratiques déplacent voire perturbent les récits dominants sur des faits historiques auxquels elles s’intéressent. Les artistes participent ainsi à ce travail de mémoire par une mise en récit et une mise en perspective, il s’agit ici d’un positionnement différent, complémentaire de celui de l’historien.
Les images pensives
Les différents régimes de l’image se référant notamment aux recherches menées autour de la sociologie visuelle.
L’image dans nos sociétés navigue entre plusieurs régimes de visibilité : représentatif, esthétique mais également éthique. L’image à l’ère numérique est devenue sociale et participative. Les artistes nous aident à comprendre les phénomènes qui parcourent et configurent nos sociétés en faisant image. L’art dans son dialogue tendu avec les sciences humaines et sociales emprunte leurs méthodes de recherche tout en constituant des objets d’étude œuvrant à la compréhension du monde social. La sociologie visuelle, initialement basée sur la photographie et impulsée par l’anthropologie visuelle dans les années 60, a été théorisée par le sociologue américain Douglas Harper. Elle contribue à requalifier l’approche sémiotique de l’art, et constitue une nouvelle méthode de recherche dans le champ des sciences humaines et sociales, renouvelant le dialogue entre chercheurs et créateurs.
Architecture « E.T. » Art / Extra Territorialités
Le geste architectural très fort que constitue le bâtiment proposé par Kengo Kuma scelle la relation du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur à l’architecture.
La région Sud historiquement, au travers de nombreux bâtiments, témoigne d’une histoire de la modernité en architecture. Si leur dialogue s’est construit dans la modernité, il est intéressant d’explorer les formes de relations qu’entretiennent aujourd’hui les architectes à l’art et les artistes à l’architecture et à quels endroits se nouent les relations. Construisent-ils ensemble une autre modernité ? L’architecture comme l’art se pose la question de son exposition, de sa mise en vue, de ses dispositifs de présentation. Les architectes ont recours aux outils des artistes, regardent leurs mises en espace voire leur confient des scénographies, tout comme les artistes invitent des architectes à réfléchir avec eux à l’espace de monstration. La question de l’ornementation et du décor également est sans doute l’un des espaces où se joue le dialogue entre art et architecture et où les collaborations entre plasticiens et architectes sont nombreuses.
Muriel Enjalran, directrice du Frac