Quinze ans plus tard, en 2014, il réalise Atlas, un film de 76 mn, consacré à des prostituées du monde entier, figures post-modernes de pietà hésitant entre l’extase et la souffrance. Là encore des limites sont franchies : celles propres au médium photographique. Les cadres sont fixes, mais la vidéo permet d’enregistrer le mouvement et surtout les voix. Des voix dans toutes les langues, qui donnent à Atlas une dimension universelle, des témoignages d’une déchirante beauté. Ce film est évoqué ici sous la forme d’une série de photogrammes. Présenter ces derniers parallèlement aux premières images permet de rendre compte de l’évolution d’un style : l’abandon du noir et blanc et du flou au profit de la couleur et de la netteté.
Rapprocher en une même exposition ces deux travaux distants de plus de quinze ans est aussi une manière de souligner en creux l’itinéraire artistique d’Antoine D’Agata : « Dans ma jeunesse, j’ai passé un nombre incalculable de nuits dans les rues ; et les rues ont fini par moins m’intéresser. Je suis allé dans les bars et dans les chambres ; l’espace s’est peu à peu resserré. Puis je me suis concentré sur les corps. Et, de l’acte sexuel, je suis passé à ces quelques secondes au cours desquelles le visage se tend. Avec Atlas, j’ai cherché à passer à autre chose sans me trahir. La découverte de la fonction vidéo de mon appareil photo m’y a aidé en m’ouvrant des espaces nouveaux. » De la photographie de rue, donc, à la vidéo d’art. Mais si les moyens plastiques et les intentions ont pu changer, l’œuvre d’Antoine D’Agata au fil des années repose sans cesse la même question : celle du rapport impur entre document et intimité. "
Antoine D’Agata, Home Town / Atlas
Par Guillaume de Sardes