Nicolas Floc’h, Invisible

Entretien entre Nicolas Floc’h, Marc Duncombe, Charles Carmignac et Cécile Coudreau. Porquerolles, décembre 2020.

Nicolas Floc’h dans les eaux du parc national de Port-Cros, février 2019.
Photo : Lionel Roux, 2020, Fondation Carmignac/PNPC.
Nicolas Floc’h, Porquerolles, 2020.
© Adagp, Paris, 2021.

Cécile Coudreau : Située sur l’île de Porquerolles, la Villa Carmignac abrite, depuis sa création en 2018, des expositions temporaires intégrant une partie de la collection d’œuvres d’art contemporain de la fondation en plein cœur du parc. Après deux ans de collaboration à l’échelle de ce territoire, ressentez-vous, Charles et Marc, un changement dans la dynamique de l’île et dans la fréquentation des lieux ?

Charles Carmignac : Dans la perspective de l’exposition Paysages productifs de Nicolas Floc’h qui a eu lieu au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur en septembre 2020 – et en liaison avec la fondation Camargo et le parc national des calanques de Marseille qu’il a explorées – il nous semblait intéressant de prolonger cette collaboration à travers un milieu très différent : les fonds sous-marins du parc national de Port-Cros.
Ces images entrent en parfaite résonance avec l’exposition consacrée à la Mer imaginaire que la Villa Carmignac présente ce printemps à Porquerolles. Comme la fondation est également partenaire du parc national de Port-Cros dans le cadre de la rénovation de la salle voûtée du fort Sainte-Agathe, il nous a semblé pertinent de proposer une programmation artistique en relation avec des questions environnementales entre art et science. Une façon aussi de toucher d’autres publics pas forcément spécialistes d’art contemporain.
Grâce au partenariat tissé avec le parc national de Port-Cros, nous avons souhaité aller au-delà d’un simple projet d’exposition en permettant à Nicolas Floc’h de venir sur place pour produire des images spécifiques sur les eaux du parc national. Loin des photographies sous-marines stéréotypées ou saturées de couleurs, ce sont des lieux encore méconnus, parfois déserts, photographiés en noir et blanc, qui se sont révélés à nous. Un monde resté longtemps invisible.

Marc Duncombe : La présence d’un lieu consacré à l’art contemporain de cette qualité ouvre de nombreuses perspectives de partenariat localement qui enrichissent la saison culturelle de nouvelles propositions, aussi bien dans le domaine des arts visuels que dans celui de la musique ou du cinéma. L’exposition en deux volets à la Villa Carmignac et au fort Sainte-Agathe, site emblématique de l’histoire de l’île géré par le parc national, devrait favoriser à terme la circulation des publics en faveur d’un tourisme choisi tout en touchant des publics peu familiers de l’art contemporain (celui des monuments historiques). L’art contemporain est au patrimoine historique ce que la culture est à la nature. Une ambition de ce partenariat avec la Villa Carmignac est de rechercher les voies d’une convergence propice aux regards portés à notre environnement.

Cécile Coudreau : L’année passée, le parc national de Port-Cros et la fondation ont décidé d’officialiser leur partenariat pour la création future de projets communs. Il en a été de même avec le Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. Marc, en quoi ces différentes collaborations avec des structures culturelles de proximité, plutôt tournées vers les arts visuels et contemporains, sont-elles si importantes pour le parc ?

Marc Duncombe : Ces partenariats avec des acteurs culturels solides de rayonnement régional voire international ont permis de définir ensemble une politique de résidences artistiques et d’asseoir des actions autant à Porquerolles que sur le littoral en leur donnant une cohérence, en lien étroit avec nos missions de préservation et de connaissance des espaces naturels. Nous y travaillons avec les communes de l’aire d’adhésion comme La Croix-Valmer et La Garde, et leurs relais locaux avec le soutien de la Drac Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la fondation Total. Cette convergence d’actions a renforcé notre capacité à agir de concert et a ouvert de nouvelles perspectives.

Cécile Coudreau : Résidant pendant deux semaines dans le parc national de Port-Cros, Nicolas Floc’h nous permet de découvrir les fonds marins situés autour des îles de Porquerolles, Port-Cros et du Levant grâce aux œuvres exposées au fort Sainte-Agathe. Nicolas, au-delà de ces images, en quoi ce travail a-t-il été important dans votre pratique artistique ?

Nicolas Floc’h : Ce travail vient compléter mes recherches sur les paysages sous-marins et l’inventaire que j’ai mené dans le parc national des Calanques, seul parc national urbain d’Europe. Il permet un comparatif très éclairant entre « l’effet ressource » des fonds plus préservés à Port-Cros. On y constate les effets bénéfiques de la protection depuis 1963 par le parc national des espaces et espèces mais on voit aussi que l’on ne s’extrait pas d’un contexte plus global, qu’il soit visible ou invisible. En atteste la quantité importante de plastique, même ici.

Cécile Coudreau : De votre point de vue respectif, Charles et Marc, en quoi la présence artistique de Nicolas Floc’h peut modifier notre vision des richesses des fonds marins et de la biodiversité ?

Marc Duncombe : Cette vision artistique offre forcément un autre regard « décentré » vers les imaginaires, très différent de la représentation forcément scientifique, technique et naturaliste que nous pouvons en avoir. À la faveur de cette exposition, nous souhaitons instaurer un véritable dialogue entre scientifiques, agents du parc national, artistes, élèves et habitants sur ce monde souvent invisible mais aussi source de plein d’enseignements et d’émerveillement. C’est ce croisement des points de vue et des générations qui nous semble fondamental.

Charles Carmignac  : Grâce au partenariat tissé avec le parc national de Port-Cros, nous sommes allés au-delà d’un simple projet d’exposition en permettant à Nicolas Floc’h de venir sur place pour produire des images spécifiques sur les eaux du parc. Ce travail fait également écho à la recherche artistique de Nicolas Floc’h sur la couleur de l’eau à Porquerolles.
Avec les équipes du parc, nous avons été fascinés par ces images magnifiques, à la fois esthétiques et sensibles, fonctionnant en série comme des espaces indéfinis qui pourraient être aussi bien sous la mer que sur d’autres planètes. Selon Nicolas Floc’h, « la mer est sans doute le territoire qui permet d’approcher ce qui vient, il est au cœur des grands défis qui nous attendent ». Cette représentation inédite générant de nouveaux imaginaires devrait, sans aucun doute, trouver un fort écho auprès du public invité à découvrir l’exposition Invisible à partir du 17 avril prochain.
Nicolas Floc’h est un des rares artistes qui savent rendre visibles les questions primordiales sur la préservation des fonds marins, de manière intelligible et artistique.